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Camaret-sur-Mer vu par Gustave Toudouze

Extraits : "Péri en mer !" de Gustave Toudouze - Réédition Ernest Flammarion 1905

Insensiblement, les heures passant, une modification s'opérait. Une transparence jaunâtre commença à monter dans le ciel sombre, découpant vaguement une côte très élevée juste en face du bureau du port, et Guivarc'h distinguait déjà la presqu'île de Roscanvel, dont les falaises barraient la vue, courant toujours plus hautes vers le Goulet, où se dressait, énorme, la pointe formidable des Capucins.

Des objets émergeaient les uns après les autres de la nuit, secouant la cendre épaisse des ténèbres, dessinant des formes connues ; la longue jetée naturelle [Sillon NDLR], en terre et en galets abrités par un épais mur bas, fermant complètement le petit port, en le protégeant contre les lames du large la chapelle de Notre-Dame de Roc-Amadour [Rocamadour NDLR]; le retranchement gazonné braquant trois canons sur la mer ; le fortin rouge construit par Vauban ; le phare ; cette sorte de mince et étroite presqu'île s'étendant parallèlement au quai, de l'autre côté du port. Déjà on apercevait mieux la petite flotte des barques, dont les mâts se balançaient, dont les avants s'enchevêtraient, sous le clapotis furieux des vagues.

A gauche les toits rouges d'une usine à sardines [l'usine rouge NDLR], du bâtiment enfermant le canot de sauvetage1, se montraient vaguement à leur tour, et le rugissement sourd et continu, venant de ce côté, faisait prévoir la fureur grossissante des vagues battant rageusement les galets de la plage du Coréjou [Corréjou NDLR], enfermée dans le demi-cercle immense étendu entre le phare, la jetée et la côte élevée se terminant à la pointe du Grand-Gouin.
pages 16, 17

Une surprise et un ravissement, ce pays à l'extrémité la plus inconnue de la Cornouailles, presque ignoré, tout près de Brest cependant, mais séparé de tout par la mer, par les roches, par les falaises, par les landes sauvages, par la difficulté des communications, un riant et original port de mer par le beau temps, un refuge tout voisin de la grosse houle, par les mauvais temps de sud et d'ouest, pour les bâtiments n'osant affronter les violences du large ou les dangers du Goulet. C'est dans un profond renfoncement de la côte, au-delà de la rade de Brest, entre la presqu'île de Roscanvel qui ferme et encercle cette immense rade

A l'ouest, et le bec du Grand-Gouin, la dernière pointe avant celle du Toulinguet, que Camaret adosse à la montagne ses maisons avec leurs façades orientées à l'est-nord-est. Au-dessus, dominant les toits, des champs de blé, des moulins à vent, des tapis inclinés de bruyères roses, d'ajoncs d'or, de landes vertes, qui montent, pour finir en solitudes sablonneuses, en blocs de granit battus par les éternelles tempêtes, à mesure que le terrain se rapproche des géants escarpements à pic qui reçoivent le choc de l'Atlantique.

Qui n'a pas entendu, par un jour de tempête, le long hurlement du vent sur cette côte, la rage des lames, le sanglot monstrueux de l'Océan, ne sait rien des forces de la nature, ne connaît rien de la gigantesque et brutale beauté de la Bretagne, de cette fin de monde ouverte sur de béants abîmes !

Avec la pointe du Raz et la baie des Trépassés, mais les dépassant peut-être en grandiose, il n'y a pas en France de côtes plus merveilleusement sauvages, plus déchiquetées, plus impressionnantes, que celles qui forment l'extrémité de la presqu'île de Crozon, figurant sur la carte comme la patte palmée de quelque fabuleux oiseau de mers antédiluviennes.

Ainsi que des monstres de granit2, elle projette, dans l'Atlantique, le cap de la Chèvre, fermant la baie de Douarnenez au nord, comme les becs du Raz et du Yan la ferment au sud ; la pointe de Pen-Tir, qu'on devrait appeler Pen-Hir, plus connue sous le nom de pointe des Pois ; la pointe de Pen-hat ou du Toulinguet, position fortifiée, faisant face à la pointe Saint-Mathieu et commandant le Goulet, la rade de Brest.

Tout semble s'être réuni là pour séduire et enrayer, pour étonner, pour frapper l'imagination, pour jeter l'esprit aux vertiges de l'immensité et du mystère, pour faire comprendre ce que c'est que la fin d'un monde, le Finistère (Finis Terrae) du monde ancien.

Les plages de galets succèdent aux plages de sable fin, les petites anses étroites, intimes, aux lieues de grève, les sables rouges aux sables blancs, les falaises de marne aux falaises granitiques, les dunes aux terrains plutoniens, aux roches escarpées surplombant la mer de quatre-vingts ou cent mètres, les pentes vertes et douces aux aiguilles de rocs noirs c'est le Chaos, c'est l'Infini, c'est la Poésie embaumée, c'est le Rêve, c'est la Légende, c'est la hurlante Épouvante!
pages 20, 21, 22

Sur une des assises les plus élevées de l'espèce d'escalier naturel taillé dans le morceau de falaise rocheuse [la Pierre du Conseil NDLR], à laquelle s'appuie la dernière maison de Camaret vers l'ouest, au-dessus de la partie du quai rejoignant la route du Toulinguet, des pécheurs se tenaient debout, assis ou étendus, dominant ainsi la rade et pouvant voir, par-dessus la jetée, l'entrée du Goulet, le phare du Petit-Minou et la sombre côte de Léon.
- Ça force encore! dit l'un, l'œil au loin.
- En 1803, j'ai vu dix-sept bâtiments à la fois la cote, par un temps qui valait celui-ci ; ils sont tous allés à Trez-Rouz, à la Mort Anglaise, dans ces damnées rochers de la route de Quélern il y en a eu, du massacre !...
pages 23,24

Entre la pointe escarpée du Toulinguet et la falaise géante qui, découpée en véritables fjords scandinaves, se prolonge pendant plus d'une demi-lieue avant d'aller finir à la pointe de Pen-Tir, la côte s'échancre profondément sur un espace de six à sept cents mètres pour former une des plus admirables plages de sable que l'on puisse voir, une plage adossée à des dunes montueuses, remuées comme des vagues, la plage de Pen-hat. Là, sur cette grève dorée, vient s'écrouler en nappe de neige, en tourbillons d'écume, en vagues folles, l'immense lame de l'Atlantique, que la tempête apporte de l'horizon sans rencontrer d'obstacles, mugissante et furieuse les épaves y abondent, sinistre témoignage des naufrages qui ont lieu dans ces dangereuses régions.
page 35

Ce qu'il contemplait maintenant, c'était ce qui s'étendait devant lui, ces champs dont la couleur, verte par places, jaunie en d'autres, se noyait dans les colorations bleues du crépuscule naissant, ces toits de maisons sortant d'un bouquet d'arbres au fond d'un vallon, Saint-Julien, Lannurien au long de la route, Pen-Tir, Lagatjar sur les collines, Cosquer tout au fond, Crozon, son église et son fort.

Des taches noires, vertes, grises, des étendues désertes s'étalaient des moulins à vent tendaient leurs bras minces; de tout s'élevait un charme doux, venant le saisir, l'émouvoir.
page 151





Notes
1 Le bâtiment de la chaloupe de secours - SNSM - est déplacé aujourd'hui à l'extrémité du Sillon.
2 Les évocations du granit dans les falaises sont erronées. Les falaises de la presqu'île de Crozon sont en grès ou en schiste. Il existe un peu de microgranit sur l'Ile Longue.

°°°

Edition 1890 : Péri en mer !, V. Havard, Paris, 327 p. La version première est issue du roman original de Gustave Toudouze. Les éditions suivantes sont retouchées par le fils de l'auteur qui a amoindri les descriptifs jugés abruptes de la population camarétoise.

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