Dans le développement de
l'établissement d'enseignement catholique, le châtiment corporel
« mesuré » souvent à base d'une règle carrée, est une
tradition que l'on retrouve dans l'enseignement laïc, par contre si
la gifle laïque est en usage « restreint », l'usage
catholique en est plus fréquent. Depuis décret Ferry de 1887
bannissant le châtiment corporel à l'école, les institutions
religieuses ne s'y sont pas conformées. L'Eglise ne s'estimait pas
concernée par les règlements républicains.
Ainsi, quand un abbé de 27 ans (né à
Mayence en 1922 dans un climat politique de l'indépendance de la
Rhénanie et du nationalisme germanique) se présente au recrutement
d'enseignant de l'école St Pierre du Relecq-Kerhuon en 1950, l'usage
de la gifle est en place, assorti de quelques invectives et tirages
de cheveux. Le tout nouveau éducateur a séjourné dans les rangs de
l'armée dans le contexte de la guerre d'Indochine en tant
qu'aumônier, qu'il fut simple aumônier accompagnant ou aumônier
parachutiste, le statut est celui du « grade miroir ».
Aucune obligation de salut militaire (sauf généraux), bénéficie
des avantages des officiers, et dispose d'une autorité non
contestable puisque religieuse sur la troupe avec une immunité
sous-entendue, ceci dans un univers ultra hiérarchisé et
excessivement rude du point de vue de la discipline. C'est donc
imprégné de rudesse disciplinaire que l'abbé prend ses fonctions
auprès d'élèves de 10 à 14 ans en moyenne. L'école est composée
de 99 élèves en cours élémentaire et de 35 élèves en
enseignement secondaire. En cette période de début d'expansion, la
direction a certainement vu l'arrivée d'un petit homme à la
discipline régimentaire comme un signe providentiel. Le sceau de
l'armée parlait de lui-même et devait être la caution indiscutable
d'un tenue morale exemplaire.
Le professeur apprécié par l'évêque est nommé directeur du collège en juillet 1961 par monseigneur. Une valorisation qui ne s'est pas faite à l'aveugle mais qui fut bien basée sur une appréciation d'efficacité. Les effectifs des
enfants scolarisés durant sa direction ont une progression
exponentielle qui se traduit par un agrandissement des bâtiments et
une augmentation du nombre de professeurs au niveau de recrutement
plus que simpliste. Sans oublier un directeur adjoint autonomiste
breton. Le catéchisme de ce dernier : une culture de l'élitisme
catholique basé sur la soumission devant la volonté de Dieu et dont
la main du curé est le divin objet frappeur et réparateur des
fautes commises par de jeunes élèves égarés.
Les professeurs, surtout quelques
enseignantes, qui ne voulaient pas avoir recours à la violence
excluaient les élèves insatisfaisants de leurs classes pour faire
pénitence dans le couloir. Le directeur errait dans ces couloirs et
frappait sur place ou emmenait les cossards dans une pièce sans
affectation autre que d'être une pièce de sévices. Les élèves
finissaient à terre dans un état de semi-conscience... pas de
témoins directs... Rien à dire... La volonté de Dieu et celle des
parents étaient exaucées.
Cet homme d'église, durant toute sa
carrière de professeur et plus encore en tant que directeur a
distribué des milliers de gifles, de coups de pied et délivré
autant d'humiliations verbales sans qu'aucune institution, aucune
administration, aucun parent ne put y changer quoique ce soit.
Collège sous l'autorité de l'Etat depuis la loi Debré de 1959 et
sensément contrôlé régulièrement.
Si l'Eglise est satisfaite des prestations du directeur zélé, les autorités laïques le sont moins.
25 janvier 1963. Extrait du rapport de
l'inspection académique : "...la qualité déplorable du travail
fourni par le directeur de l’école privée des garçons de Le
Relecq-Kerhuon est incompatible avec sa mission d'éducateur. Les
leçons ne sont ni consciencieusement préparées, ni présentées de
façon éducative. Aucun travail n’est contrôlé. Je déplore
l’influence exercée par ce maître sur ses élèves et j’estime
qu’il serait inadmissible de lui accorder l’agrément..."
Malgré les restrictions répétées de
l'inspection académique, le père Yves L. obtient un agrément
définitif d'enseignant directeur en 1965.
Contrôlé par l'inspection d'académie de Rennes, des archives diocésaines le prouve tout particulièrement entre 1971 et 1974. La mention de violences est dénoncée dans les rapports mais étonnement, la comptabilité de l'établissement attire davantage l'attention avec des manipulations sur les dossiers des élèves boursiers et la perception financière des aides de l'Etat sujette à caution ainsi que des frais indûment demandés aux parents. Des frais de fonctionnements variables selon la classe de l'élève (12 à 15 frs) et ceci à des tarifs supérieurs au prix fixe exigé par l'Etat (10 frs par mois maximum). Les frais de cantine payables au trimestre étaient majorés de 10% environ. Le principe d'un établissement sous contrat est de respecter les barèmes de l'éducation nationale afin de percevoir les subventions non négligeables.
Un courrier du 3 mars 1971, de l'inspection académique, fait état de pratiques comptables incompatibles avec le contrat d'enseignement : "plusieurs irrégularités concernant
l’établissement des états de liquidation des bourses nationales." Le courrier précise : "...pour le maintien de la discipline,
le directeur aurait parfois recours aux châtiments corporels." Le conditionnel "aurait" est particulièrement regrettable, il laisse supposer un esprit de rumeur plutôt que la réalité de faits avérés.
Dès le 21 juin 1971, une sanction disciplinaire émanant du conseil départemental de l'enseignement primaire sous l'égide du préfet interdit au Père Yvon L. d'être directeur de l'établissement et d'y enseigner ; plus encore, ce dernier est interdit d'exercer dans la commune.
Le diocèse et la direction de l'enseignement catholique du Finistère de l'époque détournent la décision, Yvon/Yves L. n'enseigne plus, n'est plus directeur mais reste en place en tant que supérieur du collège. Appellation purement religieuse que l'inspection académique juge hors champ de ses prérogatives de contrôle. L'année 1973, le père L. "disparaît" du collège tout en étant membre du système éducatif de l'établissement. 1974 - Comme traditionnellement alors, l'élection du nouveau président de la république enclenche une amnistie pour les sanctions et les délits mineurs. Le directeur des collèges, Henri le G., écrit : "Les faits reprochés, bien que certains, tels les châtiments corporels, soient sévèrement punis dans l'enseignement public, ne paraissent pas constituer des manquements à la probité, aux bonnes mœurs ou à l'honneur, ni avoir mis en danger la sécurité des personnes. Ils sont donc amnistiés". La lettre parvient au rectorat de Rennes, feuille dactylographiée sur laquelle est écrit au crayon à papier en haut à gauche : "On attendra… Mais c'est curieux que l'escroquerie, avec les bourses nationales, soit si vite oubliée. On ne retient que les châtiments corporels." Bien que sur la sellette, le supérieur L. revient au collège jusqu'en 1977 avec la restitution de ses fonctions d'enseignant et de directeur.
Le départ de l'abbé supérieur en
pleine réussite à 55 ans surprend la plupart des parents (en dehors de ceux qui se sont plaints souvent par lettres) amplement satisfaits
des résultats obtenus sans se soucier des violences commises pour y
parvenir. Officiellement, une santé déclinante aurait imposé un repos spirituel en la paroisse du Conquet. La réalité est que le père Yvon L. était devenu encombrant pour sa hiérarchie et qu'un scandale financier eut été du plus mauvais effet.
Après le
départ de l'abbé, le niveau de violence va décroître d'autant
qu'en 1985, le collège devient mixte, puis changera de nom en
1988... Une façon de tourner la page, ni vu, ni connu...
En 1982, le sénateur local propose le prêtre aux Palmes académiques pour son engagement éducatif. L'homme politique une fois informé des turpitudes de l'ecclésiastique n'a pas persisté.
Le directeur puis recteur meurt à Brest en 2004. L'oraison funèbre prononcée par le frère du défunt, lui-même ecclésiastique, parachève le mensonge d'une vie par : "Toute sa vie, il fut un homme généreux, toujours prêt
à rendre service [...] avec lui, l'école connut un essor
merveilleux." Les troubles de la mémoire des uns font le malheur de ceux qui n'oublient pas.

Le collège
Fondateur de l'école St Pierre • L'histoire du collège St Pierre • Le directeur • Sous-directeur • Le recrutement • Les professeurs • La mixité • Le silence des élèves • Le plaisir dans la violence • Le directeur des collèges • Responsabilités des parents • Témoignage • Victimes
Institution religieuse
Communiqué de presse • Dissimulations des autorités religieuses • Déclarations imprudentes • Les institutions savaient • Direction de l’Enseignement catholique • Autonomie de l'enseignement privé • L'Eglise pardonne
Le contexte
Mai 1968 • L'histoire du Relecq-Kerhuon • Le CES insatisfaisant • Palmes académiques • La presse muette • Avis maladroits
La législation
Déccret 1887 • Loi 1959 • Décret 2025 • Le parquet de Brest • Les suites judiciaires attendues • L'anonymat obligé • L'audition par la commission d'enquête • Les établissements coupables